La Tortue rouge
Caractéristiques du film :
-Titre : La Tortue rouge
-Genre : animation
-Pays d'origine et date de sortie : Belgique, France, Japon. 2016
-Réalisation : Michaël Dudok de Wit
-Scénario : Michaël Dudok de Wit
-Production : Studio Ghibli, Wild Bunch, Why Not Productions
-Durée du film: 80 min
Résumé :
Il y a sur le site https://wsrl.wordpress.com/2016/07/13/bref-essai-de-psychosocioanalyse-de-la-tortue-rouge-poeme-cinematographique/ une analyse très intéressante du film, qui compare le long-métrage à une adaptation d’un mythe. Le texte suivant est donc un extrait de ce site, qui résume très bien l’histoire dans son aspect « mythique ».
« Un jour, l’Homme qui venait d’ailleurs échoua sur l’Île. Il était seul et seul, il vivait avec l’Île dont il ne parvenait pas à s’échapper, car son radeau, qu’il devait à chaque fois reconstruire, était à chaque fois brisé par une tortue rouge. La tortue rouge fit un jour son apparition sur la plage et l’Homme, plein de la rage de ne pouvoir fuir de l’Île sur son radeau, se vengea en lui assénant un coup de tronc sur la tête et en la retournant. Elle demeura ainsi plusieurs jours et plusieurs nuits jusqu’à ce que l’Homme, pris de remords, se préoccupât de son sort et l’imagina déjà quitter ce monde et monter au Ciel. Il apporta de l’eau à la Tortue quand soudainement sa carapace se fendit. Il détourna son regard, mais quelque temps après, il vit que la Tortue s’était changée en Femme : la Femme était vivante et gisait, en pleine lumière, dans la carapace de la Tortue Rouge. Il la protégea du Soleil en lui construisant une hutte à l’aide de troncs, de branches et de feuilles. Lorsqu’elle se réveilla, elle et l’Homme s’observèrent. Comme elle était nue et qu’elle se baignait, l’Homme déposa son vêtement et s’en retourna dans les bois, mais lorsqu’il revint, elle n’était déjà plus là. Ils se connurent enfin et s’aimèrent. L’Enfant naquit de leur union. Ils vécurent ensemble et l’enfant devint adulte. Un jour, tandis que les oiseaux criaient dans le ciel, l’océan se retira du rivage et revint frapper l’Île, détruisant tout sur son passage. L’Enfant retrouva la Mère, blessée à la jambe et le Père, rejeté au loin de l’Île, échappa de justesse à la Mort grâce au secours de son Fils. Le calme des jours revint, mais la solitude de l’Enfant devenu Homme se fit à chaque fois plus pesante. Il fit ses adieux à son Père et à sa Mère et s’en alla rejoindre le peuple des Tortues qui vit dans l’Océan. L’Homme et la Femme, âgés, vécurent encore de beaux jours jusqu’à ce que l’Homme s’éteignît. La Femme prit alors sa main dans la sienne et resta à ses côtés un jour et deux nuits puis redevint la tortue rouge et regagna l’océan, laissant l’Homme trépassé gésir sur la plage. »
Analyse :
Le film, un prétexte :
Le film, un prétexte : L’histoire du film n’est pas, en elle-même, originale. Le thème de l’île déserte tropicale est très répandu, que ce soit parmi les séries télévisées ou les longs-métrages. Celui de l’homme livré à lui-même face à une nature peu hospitalière l’est d’autant plus. La beauté du film réside alors non pas dans la forme, mais dans le contenu. L’histoire ne traite pas réellement de la survie de l’homme ou autrement dit, comme l’individu s’octroie un sursis, mais de son passage momentané sur un morceau de terre. La finesse et le raffinement de cette présentation, que l’on retrouve dans l’esthétique du dessin (le turquoise du rivage ou le gris sombre mais aéré de la houle), les techniques d’animation ou dans la musique (le bruissement des feuilles, le clapotis de la pluie), sont au centre de cette œuvre.
L’image de l’île renvoie habituellement à l’idée de précarité de la condition humaine, au lien homme/nature, à la peur de l’abandon, de la mort. Le choix du cadre permet de garder la possible réflexion sur ces éléments. Bien que le film n’ait pas pour visée de nous montrer la difficulté de vivre sur une île, en effet, aucun plan ne nous montre la difficulté qu'a l’homme à répondre à ses besoins, on assiste tout de même à la difficulté psychologique de l’exclusion. L’épuration des problèmes nous recentre sur ceux de l’existence.
L’histoire d’un mythe :
Comme nous l’a montré le résumé, il est possible de textualiser le film. On remarque alors que ce texte prend les allures d’un mythe :
Lévi-Strauss : « Un mythe […] narre sur plusieurs plans simultanés une histoire en réalité fort complexe et à laquelle il lui faut donner un dénouement […]. Ces plans simultanés sont ceux du réel, du symbolique et de l’imaginaire. »
Il est clair que l’histoire présente bien les divers points que sont le réel (le cadre), le symbolique (cf. un des paragraphes suivants), et l’imaginaire (l’univers onirique de certains passages).
Néanmoins, le film est dépourvu de morale ou de dimension explicative qui aurait pour conséquence un alourdissement de l’histoire. Cela ne nuit pas à son esthétique et à sa douceur que nous avions évoquées précédemment, mais cela va contre l’idée même du mythe, qui a pour fonction, l’explication du monde. Nous assistons ici à l’histoire de cet homme, à partir du naufrage jusqu’à sa mort, mais nous nous situons dans un monde anhistorique, où le temps ne s’écoule presque pas, la nature n’évoluant que très peu à l’échelle humaine.
La vie :
La Tortue rouge nous présente une conception particulière de la vie. Le cadre isolé permet de nous montrer comment la vie se comporte de façon naturelle :
La nature a par essence un comportement cyclique comme l’atteste la chaîne alimentaire décrite dans le film : le poisson mort nourri la mouche qui finit dans les toiles de l’araignée. De même, on assiste à des motifs récursifs dans la vie des personnages : le père et le fils tombent, tous deux, dans le même trou...
Pourtant, la vie continue d’avancer. Chaque seconde file, et en dépit d’un éternel recommencement des motifs, le fils succède au père. Seule la nature reste permanente, comme témoin du perpétuel recommencement.
La Nature et la symbolique du film :
La nature est un élément principal du film, presque un personnage en lui-même. Agressive comme au début du film ou pendant le tsunami, elle sait aussi être hospitalière et fournir la nourriture, l’eau, les ressources nécessaires pour se protéger.
On peut aussi observer la place de l’homme avec la nature : celui-ci ne construit rien et les trois personnages dorment jusqu’à la fin du film à la belle étoile. L’homme n’est que de passage. Seule la nature est immortelle. Cela montre une séparation avec les œuvres traditionnelles insulaires, où l’individu tente de se réapproprier la terre et l’espace où il accoste afin de récréer un semblant de civilisation. Ici, c’est l’homme qui s’adapte à son monde.
Mais cela n’est pas pour autant au détriment des personnages. Au contraire des autres histoires qui présentent de nombreux rebondissements et les difficultés des protagonistes à survivre, les trois personnages vivent sur l’île paisiblement et dans le bonheur. Michaël Dubok dit que : « Le temps n’a plus d’importance quand on est heureux. Il n’y a plus ni passé, ni présent, ni futur ». Et c’est exactement ce qu’il se passe : le rythme des divers teintes de couleurs qui nous montrent les moments de la journée se succèdent et nous apaisent, les personnages vieillissent sans s’en rendre compte et l’enfant devenu adolescent rêve qu’il nage dans une immense vague qui s’était immobilisée dans les airs.
En réalité, il est possible d’interpréter le film non pas comme la survie sur une île déserte, mais comme la présentation des diverses étapes de la vie de façon métaphorique. En effet, le dossier de presse en ligne consacré au film présente celui-ci de la manière suivante : « À travers l’histoire d’un naufragé sur une île déserte tropicale peuplée de tortues, de crabes et d’oiseaux, La Tortue rouge raconte les grandes étapes de la vie d’un être humain. ». Comment faire le rapprochement ?
L’île pourrait symboliser le soi. L’homme est naturellement contraint d’être en harmonie avec son soi. De nombreux plans montrent le parallèle entre l’île et l’individu, qui pour dormir prend sa forme.
Les multiples tentatives d’échapper à son être se soldent à chaque fois par un échec, provoqué par une entité supérieure, presque mystique : la tortue rouge. Cette créature étrange le ramène envers et contre tout.
L’expérience et sa culpabilité lui font alors comprendre qu’il est vain de vouloir s’enfuir. Il lui est plus préférable de s’accepter soi-même. La tortue rouge, ange gardien de l’homme, lui offre ensuite la femme, sa compagne.
Cette dernière n’est pas présente pour prendre de l’espace dans la vie de l’autre et donc sur l’île mais a simplement un rôle d’accompagnateur. Elle y est invitée. C’est l’homme qui fit le choix de la couvrir et de la protéger.
L’indice qui peut montrer que la femme a le rôle de guide se trouve dans la différence de conception mentale entre les deux personnages. D’un côté, la femme était tortue, et l’homme civilisation. Cela se voit d’autant plus lorsqu’ils dessinent pour leur fils, sur le sable : l’homme dessine des hommes, un éléphant, un cheval... la femme n’est capable de ne dessiner qu’une tortue.
Ainsi, les deux parents sont séparés par leur regard sur le monde. Ceci trahit la différence culturelle entre les deux individus. L’homme ne peut comprendre la culture de l’autre.
En effet, il ne peut saisir la représentation de l’autre par l’autre. Il ne comprend que l’autre dans l’autre. Cela trahit aussi la place de la femme dans cette relation : celle d’une personne qui doit prendre soin de la nature de son partenaire.
Dans cette compréhension des événements, il serait possible d’inverser le genre des deux personnages et d’avoir la même histoire, n’est importante que la place de l’individu avec celle de son partenaire.
Certains éléments restent néanmoins sans réponse. La question de la morale pour la femme semble étrange : tandis qu’elle représente la nature, la femme fait preuve de pudeur, produit de la culture humaine.
La morale de la femme est-elle innée et antérieure à sa vie de tortue ? Pourquoi se montre-t-elle morale sur la question de la nudité mais immorale en ce qui concerne la mort ? Elle laisse en effet le corps de l’homme sans rite funéraire ni sépulture.
On peut néanmoins comprendre la fin du film de diverses façons :
L’homme est mort. La femme se retransforme en tortue car sa tâche en tant qu’ange gardien est terminée. Elle peut donc repartir. Certaines légendes postulent que l’âme change de corps. L’ange pourrait alors partir pour une autre île où l’individu se réincarnerait. De fait, l’opposé de la mort n’est pas la vie mais la naissance. Toute fin est un commencement.
On peut aussi voir la fin comme une ode à la continuité. L’homme en tant qu’individu est mort mais la tortue, qui représente l’étranger, l’altérité, l’autre continue sa route.
Le Quatuor :
Le quatuor composé de trois violons et d’une contrebasse apparaît lors d’un songe de l’homme. Il semble anodin et peu participatif à l’intrigue de l’histoire mais en réalité, il pourrait avoir une signification bien plus profonde.
Le quatuor représente une certaine forme de conformité et d’idéal culturel, vers lequel l’homme court. Le fait qu’il n’arrive pas à les attendre montre que le naufragé ne peut plus revenir à sa civilisation, qu’il est contraint de rester sur l’île. Son destin même sera différent de ceux qui rejoignent ce quatuor (comme Robinson Crusoé), et se posent comme successeur de la logique moderne : « maître et possesseur de la nature » (cf. Le travail).
Pourtant, c’est bien en ne suivant pas le rythme du quatuor, mais en réinventant sa propre danse qu’il peut souhaiter le bonheur. En effet, à la fin de sa vie, on le voit danser sur la plage avec sa femme une danse à 3 temps.
Un renouveau pour le cinéma :
Finalement, ce film marque une étape importante pour le cinéma d’animation. En effet, c’est la première fois qu’un studio d’animation européen rencontre et collabore avec les célèbres studios japonais Ghibli.
Anecdote :
-« Je n'ai pas d'explication précise. J'ai choisi la tortue de manière instinctive. C'est un être paisible, solitaire, mystérieux avec son côté ancestral, presque immortel. J'ai testé le scénario avec d'autres grandes créatures de l'océan, comme la pieuvre par exemple. Cela ne fonctionnait pas. Une pieuvre, ça évoque tout de suite quelque chose de dangereux. La tortue, elle, n'attaque jamais. Elle prête à l'empathie. »
« J’ai choisi la tortue car elle est paisible et solitaire et c’est pour cela que je l’aime. Mais j’ai voulu qu’elle garde une part de mystère. Je veux permettre aux spectateurs de percevoir ce qu’ils veulent, sans leur imposer un point de vue. Il faut qu’ils ressentent les choses de façon intuitive, sans forcément tout analyser. Quand j’ai vu, à l’âge de 15 ans, 2001, Odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick, je n’ai rien compris, ou presque rien, mais je l’ai tout de même adoré. »
-« On a filmé des acteurs en amont pour s'en servir comme modèle et étudier leurs mouvements. »
Bande Annonce :
Musique du film :
A contribué à cet article :
Cornelius
Date de dernière mise à jour : 06/08/2017
Commentaires
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- 1. Jousset Le 15/11/2018
bonjour,
merci pour ce développement dont je vais m'imprégner, j'ai vu ce film hier et il laisse une part d'étrange de magie de nostalgie indicible, une part de paix primordiale, des sentiments de simplicité, aussi d'acceptation de la vie de confiance en la vie, d'un regard sans jugement, de percevoir que la vie est aussi un REVE avec sa part de mystères, de bonnes et mauvaises surprises, d'épreuves à traverser, la vie est douce et aussi peut tout casser détruire en un instant puis tout redevient si calme. Une empreinte de douceur de vie s'échappe de ce récit, une grande poésie qui réchauffe les coeurs et nos âmes, on reste captivé en le silence qui danse et emplit tout. Conte, légende, cette histoire intemporelle est magique car les symboles nous parlent même sans que nous le sachions quelque part enfouis en nous, là est quelque chose qui s'unit à l'existence à la vie universelle.
La tortue est liée à DIEU LA MERE en la grande sagesse qui conduit tout vers le PERE notre créateur, source de toute vie.
Un moment suspendu, un travail artistiquement beau et noble, une dignité ressort aussi de notre condition d'homme sur la terre qui doit toujours faire des efforts traverser des épreuves et rester stable, dans le bonheur d'être vivant et de tout ce qui nous est donné avec tant de générosité par la nature. Tout à fait conquise par cette réalisation. Mille BRAVOS et MERCIS
à l'auteur, dans la gratitude et la reconnaissance d'un monde partagé auquel on adhère s'identifie parfaitement par une oeuvre réalisée dans la délicatesse et la finesse que seule une âme pour transmettre.
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