Le Travail

Le mot travail vient du latin « TRIPALIUM ». Celui-ci désigne un instrument de torture. Le travail a dans ses fondements une origine punitive et coercitive : « la mise au travail ».

Attention, bien que ceci soit souvent dit dans les écrits philosophiques, travail ne provient pas de "TRIPALIUM". Emmanuel Domergue a fait remarqué dans la section commentaires que certaines sources démentent un quelconque lien entre l'instrument de torture et le mot travail.
Il serait préférable d'associer à travail une base lexicale exprimant un mouvement, le préfixe tra- exprimant la notion de passage, assortie d’une résistance. On voit d'ailleurs une ressemblance entre "travel" en anglais et travaille. 

Pour plus d'information, voici le lien du site internet partagé par Emmanuel : https://blogs.mediapart.fr/flebas/blog/240316/l-arnaque-de-l-etymologie-du-mot-travail 

D’ ailleurs, on distingue souvent l’activité de création de celle où l’on travaille.

On retrouve l’origine de cette séparation dans les textes bibliques. Suite au pêché originel, l’homme reçoit comme punition l’obligation de travailler pour survivre.

Genèse 3:16 : « Tu enfanteras dans la douleur ».
Genèse 3:19 : « Tu travailleras à la sueur de ton front ».

Néanmoins, Adam était d’abord dans le jardin d’Eden pour travailler. La douleur suite à la punition proviendrait donc de la nuance que prend la notion de travail avec la punition. Adam ne doit plus aménager le jardin mais le transformer.
La peine pendant le travail provient de la séparation entre l’homme et la nature.

La pensée moderne est en opposition avec cette conception. Les modernes (Descartes) voient le travail pour l’homme comme une façon de s’approprier le monde et de se réaliser. Cela se transmet de génération en génération.
De fait, le travail est autant le signe d’une dépendance, d’une servitude pour l’homme qui ne peut survivre sans s’approprier le monde, qu’une échappatoire à cette dépendance.
Bernard de Chartres dit à ce propos que « Nous sommes des nains sur des épaules de géants ». 
Et c’est pour cela que les étapes de maîtrise de notre monde marquent notre histoire, à l’instar des révolutions technologiques. L’histoire avance en même temps que la technologie.
Dans cette conception, le travail aurait deux formes :

-Primitive. On transforme de la matière naturelle par des moyens naturels.

-Forme exclusive à l’homme, dont les caractéristiques sont d’être :

-optimisé.
           
-conscient : la pensée est interposée entre l’homme et le travail. L’homme doit canaliser sa pensée.
           
-calculé : le travail est fait en prévision d’un objectif. Il y a une différence entre le travail de l’architecte et celui de l’abeille. L’animal est aussi capable de transformer son milieu naturel, comme les castors qui construisent des barrages.
Marx répond à cela que « Ce qui distingue l'architecte le plus maladroit, de l'abeille la plus habile, c'est que l'architecte porte d'abord la maison dans sa tête ».

A ce moment tout travail est valorisé, dans la mesure où il est fait avec rigueur et méthode.

Travail et Technique:

La technique est un outil au service du travail. Mais il faut voir qu’il y a un rapport dialectique entre travail et technique (duo auquel on peut aussi ajouter la science). Le travail invente les techniques, mais le travail apparaît avec la technique ; on travaille toujours en suivant une certaine technique.

Par ailleurs, travail et techniques possèdent une ambivalence.
Les techniques ne sont ni bonnes ni mauvaises. Il est surprenant de dire d’un objet qu’il est bon ou mauvais. Il n’est que « moyen » pour la réalisation. Pourtant, on peut utiliser un objet autant pour construire que pour détruire. On pourrait aussi dire qu’un moyen impose un certain type de fins et de comportements. Par exemple, le marteau a par définition une visée destructrice : celle de taper.
De même, le travail est ambivalent en présentant un couple positif/négatif similaire à celui du désir. On juge le travail en lui-même positif, notamment pour la société, pour le progrès, mais l’action en elle-même n’est pas si plaisante pendant la durée du travail.

Trouvons les arguments qui justifient que le travail est bénéfique à l’homme :

1-Il améliore la condition humaine en nous fournissant de nouveaux outils.
Voltaire : « Le travail éloigne de trois grands maux, l’ennui, le vice et le besoin. ».

2- Le travail est l’expression concrète de l’intelligence humaine, non asservie par la nécessité et le besoin. Le travail s’élève au-dessus du besoin. Le travail est par essence liberté. Il montre notre capacité de choix.

3-Il est anthropogène. Autrement dit, il nous humanise, en nous détournant de notre animalité.
En travaillant, on se rend maître. On modifie la nature avec notre nature à nous et la nature extérieure. Il apparaît que l’homme réalise une double négation.

Le travail permet de domestiquer ou de rendre familier ce qui lui est étranger : la nature.
Descartes invite à « devenir maître et possesseur de la nature ».
Cela correspond à l’espoir prométhéen. Prométhée incarne un symbole d’émancipation humaine grâce à la technique.
Marx affirme que le progrès permettra de ne plus travailler et de faire disparaître la politique.

Afin de développer l’autre négation, on peut dire que l’individu qui ne travaille pas ne connaît pas ses désirs. On modifie notre nature par l’éducation. L’homme pour s’humaniser doit se dénaturer.
L’homme n’existe que comme être en puissance. L’humain est une réalité alors que l’homme ne se définit que virtuellement : l’humanité existe en puissance. Aristote parle « d’en acte ». L’enfant n’est homme que dans le cadre d’un apprentissage.

Kant reprend cette idée en expliquant que la raison est le propre de l’homme et n’existe qu’à la suite d’efforts. Dans Idée d’une histoire universelle, il utilise l’exemple d’une société de bergers d’Arcadie qui se complaisent dans le repos. Rien ne les distingue des animaux. De fait, l’humain qui raisonne devient un homme.

4-Il nous épanouit. On peut se réaliser, augmenter sa valeur intrinsèque (qui s’oppose à la valeur extrinsèque, autrement dit la valeur matérielle). Notamment, on assiste à ce concept dans le rêve américain.
Nietzsche : « l’homme est une passerelle entre l’animal et le surhomme ».

5-Il développe des facultés propres comme la volonté, l’imagination, les incohérences motrices corrigées.
Alain : « c’est la volonté qui fait l’homme ».

6-Il crée de nouveaux plaisirs et rend possible la satisfaction différée de nos désirs, au contraire des animaux.
Hegel : « le travail est désir réfréné, disparition retardée. Le travail forme ».
On peut voir cette idée dans la dialectique du maître et de l’esclave d’Hegel. A ce moment, la personne ressent la valeur des choses et pas seulement une valeur superficielle. Le plaisir s’en trouve bien plus durable. L’individu garde la substance de l’objet réalisé. Le plaisir du maître n’est pas celui de l’esclave.
Le conflit entre le maître et l’esclave se résume en trois étapes :

1)  Le conflit originaire :
Il y a une lutte pour le pouvoir, l’un des deux perd et choisit de conserver sa vie au détriment de sa liberté, qu’il nie en se fondant dans la conscience du maître.

2) La servitude :
Le maître jouit et ne développe plus. Il a besoin de l’esclave pour survivre. Au contraire, l’esclave travaille et se développe. « La transformation du monde est transformation de soi ». Il prend conscience de lui-même et se libère mentalement du monde.

3) L’émancipation :
L’esclave est supérieur au maître et le renverse. Le maître doit alors le reconnaître comme égal.

7-Il est moral. La religion protestante prône le développement capitalistique.

Kant voit l’aspect moral dans le travail, car pour accéder au bonheur, il faut travailler. Il faut se rendre digne du bonheur. Pour Kant, la nature a voulu que l’homme travaille :
Kant : « La nature a voulu que l’homme tire entièrement de lui-même tout ce qui dépasse l’agencement mécanique de son existence animale et qu’il ne participe à aucun autre bonheur ou à aucune autre perfection que ceux qu’il s’est créés lui-même, libre de l’instinct, par sa propre raison. »

Par ailleurs, en alliant l’espoir prométhéen à la technique et au travail, on voit que Prométhée est délivré par Hercule, identifié comme LE héros moral par excellence. Cela montre un lien entre moralité et travail.

8-Il permet la création d’une hiérarchie sociale en évaluant la richesse d’un homme.
Rousseau : « la division du travail fournit aux sociétés leur premier mode d’organisation ».

Mais le travail est aussi aliénant.

On a vu que l’homme d’abord défavorisé va accroître sa puissance par le travail. Dans un mouvement d’orgueil, il étend sa domination sur tout et sur tous ses semblables. On sombre alors dans « l’hybris ». La volonté de survie amène à une volonté d’exploitation, i.e. une décadence morale. On assiste alors à une déshumanisation par le travail.
Rousseau : « le maître des uns et le fléau des autres » Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.

On peut parler de la division du travail. Elle peut se faire selon trois axes :

-division naturelle : selon les différences naturelles, comme la force, la taille...

-division sociale : une partie de la population répond aux besoins du reste. En considérant une autonomisation du symbolique et du religieux, on peut observer alors une tri-séparation de la société comme au Moyen-âge.

-division technique : le travail à la chaîne illustre ce concept. Il y a division au sein d’une même unité de production. Cette dernière séparation est jugée par Marx comme aliénante. Cette parcellisation des tâches ne permet plus à l’homme de s’épanouir mais de permettre à certains d’en exploiter d’autres.

Le progrès n’est pas qu’émancipation. Il peut aussi aliéner les autres. Avec le développement du machinisme, le travail devient une peine, on commence à « compter les heures ».
On le voit dans Les Temps Modernes de Charlie Chaplin.
On assiste à cette opposition avec l’artisan qui crée un objet original teinté de subjectivité et de créativité. L’ouvrier, lui, réalise un travail morcelé et automatisé. L’ouvrier est réduit au rang d’animal. Il ne doit plus penser mais rendre son geste efficace.
Marx : « Ce qui est animal devient humain, ce qui est humain devient animal ».
Marx : « Le travail est l’essence de l’homme ».
Par ailleurs son salaire est trop maigre pour pouvoir se divertir. Il ne peut que reconstruire sa force de travail. On nomme cela un salaire de subsistance. Le seul plaisir qui lui est permis est la satisfaction de ses besoins primaires.

De plus, le travail le dépossède de ses capacités. L’individu ne peut s’exprimer dans son travail et est exploité, ayant son travail récupéré par un autre et étant sous payé pour la tâche. Une part du travail n’est pas payée, conduisant à la plus value capitalistique. Le capitaliste achète une force de travail à un salaire inférieur à la valeur du travail. C’est ce que Marx nomme le « surtravail ». C’est pour cela qu’il écrit dans Le Système Capitaliste que le travail salarié aliène l’homme.

Pourtant, l’aliénation par le travail n’est pas nécessaire ; elle est selon Marx le symptôme d’une mauvaise organisation économique du travail et des progrès techniques. Ainsi :

En supposant que le travail est forcément aliénant, on doit instaurer une justice pour équilibrer les peines.

Mais si on estime comme Marx que le travail fait partie de la dimension fondamentale de l’homme, représentant une partie de sa dignité, alors il faut instaurer une organisation sociale avec un comité d’éthique pour contrôler le progrès et une législation sur le travail comme un droit au travail.

La dépendance au travail?

Par ailleurs, le travail rend dépendant. On définit l’« homo laborans» : l’homme qui travaille pour survivre en gagnant de l’argent.
Ne pas travailler correspond à aller contre l’ordre structuraliste, où l’on privilégie sa personne à la société. Le chômage révèle qu’il est difficile d’aller contre l’ordre précédemment cité. Les individus au chômage de longue durée s’attristent sur leur sort, sont victimes d’une exclusion sociale et d’un manque d’argent. Cela est si démoralisant que certains arrivent à vouloir leur mort. On est dépendant de l’argent et esclave de ces nouveaux besoins créés par la société.

Jean Baudrillard explique dans La Société de consommation que l’homme, à force de vivre parmi les objets, s’en rend dépendant. Il qualifie l’homme de notre société d’ « homo oeconomicus ». Cet individu privilégie systématiquement les objets pour atteindre le bonheur. On peut alors s’interroger sur la véritable liberté dans la sélection des besoins. Le danger de l’abondance des produits de consommation est la transformation du possédant en possédé. Il y a une forme de culte de l’abondance qui est instauré où à l’origine l’argent matériel est devenu virtuel, pouvant nous faire oublier la réalité.

Et même dans l’idéal marxiste où le travail disparaîtrait, Hannah Arendt nous montre que l’homme ne saurait jouir à ce moment de sa liberté, car il ne saurait comment faire.

Pourrait-on imaginer une société sans travail ?

Levi Strauss parle des sociétés stationnaires, qui produisent le minimum afin d’être en accord avec la nature. 

Loisir et Travail.

Les loisirs permettent de s’accomplir autrement que par le travail. On définit négativement un loisir comme une activité non rémunérée ainsi que par opposition au travail. Il s’agit du temps libre. Licere signifie en latin « être permis », ce qui a donné le mot loisir. Son étymologie montre cette opposition au travail, où l’on doit travailler dans un cadre temporel, des échéances / loisir, vu comme une permission, une exemption. Un autre mot en latin : « Otium » signifie le temps consacré au loisir et qui donne oisiveté en français. Pourtant en latin, le terme a une connotation bien plus positive qu’aujourd’hui.
Dumazedier traite des loisirs. Il les définit comme une activité qui délivre de la fatigue, divertit et développe la personnalité.
Pourtant, l’homme ne pourrait vivre que de loisirs. On remarque que les individus au chômage sont rarement heureux, mais souffrent d’un manque d’argent et d’une exclusion sociale.
Ainsi, il semblerait qu’il faille allier travail et loisir.

Dans tous les cas, on remarque que l’on associe à tout loisir une connotation négative. On voit qu’écrire, peindre ou cuisiner est un loisir, une activité, parce qu’elle n’a pas pour but de rapporter de l’argent. On a vu que les loisirs sont définis négativement comme le non-travail. On peut néanmoins distinguer deux formes de loisirs :

-Péjorativement dans la définition de l’oisiveté, un état d’inactivité complète. Platon dans Gorgias montre que s’adonner à tous les plaisirs et tous les divertissements mène à une re-naturisation de l’homme et donc à une animalisation de l’homme, qui suit ses désirs.

-Méliorativement dans la définition aristotélicienne de « skholè ». Cette définition s’oppose au travail seulement sur l’aspect lucratif. Ce loisir comme le travail cherche à former l’individu en opposition à une nature première. Cela correspond à une définition du divertissement pascalien, où divertissement prend son sens étymologique comme détournement de soi-même.

On voit alors que les loisirs ne sont pas si différents du travail lorsqu’ils sont actifs.

La libération de l’homme passe par le travail, mais celui-ci, s’effectue dans la douleur. On sait que les loisirs sont agréables et ont une fonction similaire à celle du travail. On pourrait alors chercher à associer les loisirs au travail afin de créer une société plus épanouie et ne voyant plus le travail comme contrainte et torture. Dominique Glocheux propose la thèse que
Dominique Glocheux « bonheur rimerait avec labeur ».
Le travail est omniprésent et omnipotent donc il faut être positif.
Jacques Attali parle d’économie positive. Il énonce d’ailleurs la thèse que l’économie tend vers un système reposant uniquement sur l’échange, le bénévolat et le don. Wikipédia est un très bon exemple illustrant ce concept, où les individus partagent leur savoir sans rémunération.